Saint Sabas 443-532

Récit de deux semaines au monastère Saint Sabas Décembre 2016.
Monastère fondé au 5ème siècle par Saint Sabas
17 Décembre 2016 fête de Saint Jean Damascène puis Sainte Barbara le 18 et Saint Nicolas le 19 décembre. Trois journées consécutives d’Agrypnies
Nous sommes arrivés au monastère Saint Sabas après une nuit passée à Jérusalem. Ayant quitté Bethléem, nous traversons en taxi la vallée du Cédron. Le monastère est situé à quelques kilomètres de la ville dans le désert de Judée. La route que nous empruntons surplombe la vallée. Plus aucune habitation, de la terre sableuse, de la roche, des chèvres et après vingt minutes, nous arrivons tout au fond du vallon aux portes du monastère.

lumière est forte, très ensoleillée, juste quelques gouttes de pluie. Pendant la nuit, la lune éclaire les cavernes rocheuses qui se trouvent à l’opposé du monastère en face de notre logement. C’est un canyon avec le monastère au milieu, bâti dans la roche, creusé et élevé sur l’une des rives du Cédron. Les moines et les éleveurs de chèvres avec leurs troupeaux y vivent. Le son des cloches des brebis s’entrecroise avec les cloches du monastère.
Accueillis fraternellement par père Abraham, nous rejoignons en hauteur et avec vue sur la vallée, notre cellule. Alain est logé un peu plus bas dans un espace qui peut contenir au moins huit pèlerins. Devant sa porte, dans un renfoncement, une grande roue en bois de Sainte Catherine.
Père Stéphane et moi même séjournons dans une grande cellule en retrait, en haut de l’enceinte, deux lits séparés et une terrasse qui conduit, un escalier plus bas, à des jardins et des cellules monacales. Une unique lampe à pétrole pour nous éclairer et un robinet d’eau à l’extérieur. Au monastère, pas d’électricité, pas de téléphonie, pas de wifi, de l’eau avec modération et des toilettes avec un seau que nous remplissons à chaque usage.
Directement après notre arrivée, nous nous rendons dans la nef principale de Saint Sabas pour vénérer son corps et nous prenons connaissance du rythme monastique. Le changement d’horaire est radical ; nous avons directement six, voire sept heures en plus de décalage. Un long moment sera nécessaire pour s’accoutumer aux sons des cloches et à la mélodie rythmée de la simandre qui ponctuent différemment les heures monastiques. Ce n’est que durant la dernière semaine que nous allons acquérir une certaine habitude de cette mesure temporelle d’une vie en prières.
Châsse de Saint Sabas
Vue de l’ermitage de Saint Sabas
L’office se déroule d’une façon continue, allant des matines jusqu’à la liturgie, de minuit à six heures, sans pause dans la prière sauf après le repas du matin jusqu’au vêpres.
La nuit, une voûte étoilée remarquable, sans parasitage nous domine lorsque nous empruntons les escaliers pentus. Un long et sombre couloir éclairé d’une lampe à pétrole accrochée au milieu du plafond permet de voir un peu où nous posons nos pas. Revenant la nuit entre deux offices, j’étais touché de voir au loin père Stéphane, à peine éclairé par la lueur de la lampe à pétrole qui lisait les matines dans notre résidence cléricale, son livre des heures posé devant lui, tel un marin dans sa cabine, traçant sa route sur l’océan.
Les abrupts escaliers sont bordés de végétation, bougainvilliers, acacias, citronniers, cactus. De e petites terrasses avec fils à linge et de multiples chapelles : chapelle Saint Jean Damascène, Chapelle Saint Nicolas, Chapelle de la mère de Dieu et bien d’autres chapelles s’étagent entre les niveaux du monastère.


Avant les trois fêtes principales et ses agrypnies nous avons pu nous pénétrer de la vie monastique en nous calant progressivement sur le rythme quotidien des moines. Quelle émotion de descendre la nuit en étant appelé par la sonorité du chant byzantin qui monte de la nef de Saint Sabas. La première chose que l’on fait en entrant par la porte nord de l’église est d’aller se prosterner devant le corps du saint puis nous faisons le tour de toute l’église en vénérant chaque icône ; ensuite, soit nous prenons place dans une stalle, soit nous restons debout.
Le crâne de saint Sabas noir ébène repose dans une châsse placée dans la nef, au bas côté sud. Il est semblable aux figures naturelles taillées par l’érosion dans la roche de la vallée du jugement. Ces formes gigantesques emplissent toutes les infrastructures de la roche. Elles varient en tailles et profondeurs mais toutes ressemblent bien souvent à des squelettes et à des crânes. Au fond de l’oued, un léger cours d’eau laisse poindre un son régulier. Il me semble ressentir un air marin dans cette vallée, le Cèdron que nous entendons se dirige vers la mer morte. Ici la mort semble présente aussi bien dans le paysage avec ses formes anthropomorphiques qu’en nous par le rappel innocent mais bien réel de notre devenir que nous renvoie la roche sculptée.
Aujourd’hui c’est la fête du Saint tutélaire, sa châsse est recouverte d’un manteau de fleurs blanches et rouges : c’est une splendeur. Nous sommes véritablement dans une mort-résurrection. C’est la plus longue agrypnie de notre séjour, le temps s’étend, perd sa consistance, nous passons de la liturgie au réfectoire à neuf heures du matin pour le seul repas du jour. C’est la fête, nous avons droit aux poissons et à toutes les saveurs exotiques présentes sur le territoire. Cette agrypnie grande et chaleureuse fut marquée par la venue d’une communauté arabe avec laquelle nous l’avons partagée.

Pour la fête de Saint Nicolas, toute la communauté prend alors ses quartiers d’hiver et s’installe pour célébrer durant quelques mois les
offices dans la chapelle de Saint Nicolas. Cette chapelle taillée dans le roc est une caverne en quelque sorte. Au dessus de nos têtes, de la roche. La première fois que j’y suis entré pour les matines, j’ai eu l’impression olfactive de pénétrer dans un univers minéral. J’étais plongé dans mon enfance lorsque mon père m’emmenait dans son laboratoire de recherches médicales. Le peu de lumière, uniquement les deux lampes à pétrole des deux chœurs opposés, l’odeur de la roche, la chaleur humide et la vue des crânes martyrs disposés dans des vitrines au fond du transept nord composent une atmosphère unique où reposent des siècles de prières ininterrompues. C’est parfaitement inoubliable, aucune photographie ne pourrait transcrire ce ressenti. Il m’apparait même bien présomptueux d’essayer de partager cette intensité. Père Stéphane et moi même avons pu concélébrer a dans cette chapelle préhistorique avec l’autorisation du responsable du monastère. Celle-ci est le point d’ancrage principal du monastère : le ciel est sur la terre. Après la nuit de prière puis la liturgie, dehors la lumière hivernale est déjà présente et dans la cour, sur le parvis de l’église de Saint Sabas, le patriarche de Jérusalem va officier pour le partage des pains.
Avant notre retour, nous nous demandions : « que répondre à la question qui nous sera posée : « qu’avez vous vécu à Saint Sabas ? ». les prières continuelles des moines au grès des siècles se sont incorporées au lieu, sont devenues une matière vivante palpable. Ni les guerres, ni les batailles intestines n’ont pu arrêter l’ancrage spirituel dans cette vallée. Les crânes des martyrs témoignent dans les différentes chapelles de la véracité des siècles passés. L’homme religieux a puisé sa force dans ce paysage aride où les hauts ricins poussent dans le cours d’eau de la vallée du Cédron. Ici, pas de faux semblants mais des personnes sincères engagées et similaires à ce territoire à la fois éclatant et aride. Ici, dans les profondeurs d’une vie consacrée à la prière nous entendons continuellement sourdre la vie intérieure.

Il serait impossible d’essayer de communiquer ce vécu. Là-bas, ayant abandonné toutes vanités, les personnes s’unissent en une unique direction formée par la tension spirituelle dans la prière et un sincère rayonnement d’amour. Les chats courent dans les couloirs, réclament de la nourriture. Le linge sèche au soleil sur la corde tendue, des moines posent des lanternes afin d’éclairer les cavernes rocheuses, ceci pour les fêtes à venir. Nous sommes bien dans le monde et avec les hommes et en même temps si loin de notre habituel vécu. Les moines ermites d’une abondante générosité nous ont offert une hospitalité sans faille.
Une chose prégnante demeure de cet instant de séparation avec pater Podromos ; à vingt sept ans, à Athènes, il laisse sa famille, son amie et en une conversion totale s’engage dans la montagne de Dieu. Il nous a donné une accolade d’adieu qui s’est à jamais inscrite dans nos corps. Ici,le mouvement du cœur porté par la prière ininterrompue s’inscrit dans notre monde contemporain et au cœur de nos vies, en une unité en tous et en Dieu, par cet acte quotidien d’abandon à Dieu et de détachement du monde que nous offrent les moines, être dans le monde en traversant le siècle et le monde tout en étant loin de ce monde et en se rapprochant imperceptiblement de Dieu. Comme le peintre observe une mise à distance avec son tableau et pourtant fait corps avec lui, ici la réserve de la prière se trouve en une perspective ouverte au monde. La prière de ces moines nous accompagne depuis lors et nous relie depuis le cinquième siècle, nous englobant dans cette bénédiction et cette ferveur de la communauté de Saint Sabas de la vallée du Cédron.
Septembre 2017
